L'écrivain nyonnais vient de recevoir le prix Edouard Rod. Portrait.
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Un tatouage de serpent s'enroule autour d'un de ses majeurs. La main d'Antoine Jaquier accompagne la parole. Le doigt précise, en même temps que le mot. Puis, la même main saisit une cigarette électronique, dont les volutes accompagnent un silence au milieu du flux de paroles. Contrairement au serpent, Antoine Jacquier, né à Nyon en 1970, n'est pas un sinueux. Plutôt l'inverse. Il regarde droit dans les yeux, parle franchement et beaucoup. En particulier quand on le questionne sur ses activités littéraires.
Depuis la sortie de son premier roman, il y a une année, il s'est passé beaucoup de choses. Dernier événement en date, il a reçu le prix Edouard Rod, cet automne. Cette récompense, créée par Jacques Chessex en 1996, a été décernée à des grands de la littérature romande - dont Yvette Z'Graggen ou François Debluë pour les plus récents - et rend hommage à l'écrivain Edouard Rod, né à Nyon.
Un film en préparation
Antoine Jaquier s'est "pris au jeu" , comme il le reconnaît lui-même. Qualifié de "révélation de la rentrée 2013" , son premier livre, intitulé "Ils sont tous morts", s'est vendu en Suisse à 3000 exemplaires. Au Livre sur les quais, à Morges, il a dédicacé 120 ouvrages en six heures, jusqu'à en avoir mal au poignet. Il envisage désormais de se faire connaître sur le marché de l'Hexagone avec cet ouvrage paru également en France. Une adaptation cinématographique, scénarisée par l'humoriste Frédéric Recrosio, est en phase de préparation. Antoine Jaquier a donc du pain sur la planche en marge de son emploi d'animateur socioculturel qu'il exerce toujours pour gagner sa vie.
"L'automne dernier, j'ai suivi un atelier avec l'écrivain Philippe Djian" , raconte Antoine Jaquier en pointant son index en avant comme un couteau imaginaire. Il réfléchit, son regard se perd au loin, il cherche ses mots. "Plus que l'atelier, c'est la reconnaissance dont Djian a fait preuve envers moi qui m'a touché. Qu'il me dise que, si je travaillais, j'avais le potentiel pour devenir un écrivain, c'était me considérer comme un concurrent!" Pour couronner le tout, l'auteur de "37°2 le matin" a même signé une phrase, imprimée en préambule, dans l'édition française d'"Ils sont tous morts". La phrase dit: "Antoine Jaquier a le corps couvert de tatouages, les plus beaux sont à l'intérieur."
L'un des tatouages intérieurs d'Antoine Jaquier s'appelle Cristine, nom de sa soeur aînée toxicomane, décédée en 1999, la même année que la mort de leur père. C'est à Cristine qu'Antoine Jaquier a dédié son livre, qui retrace la plongée en enfer d'un narrateur toxicomane. Même s'il insiste sur le fait qu'il a voulu rendre hommage à toute une époque.
L'auteur, qui n'a pas un cursus littéraire, a un lien très fort avec l'image. Aux côtés du photographe nyonnais Yves Humbert, il a arpenté très jeune la plaine de Paléo pour tirer le portrait de festivaliers. Il a aussi appris le dessin avec son grand-père. "Je faisais partie d'un monde où la création artistique et l'artisanat étaient reconnus" , souligne-t-il. Durant sa jeunesse, ses grands-parents vivent au prieuré de Nyon, son père à la tour César et sa mère à Rolle. Lui et sa soeur aînée habitent avec cette dernière. Il reconnaît que son livre est empreint de souvenirs de Nyon. Une référence à Paléo lui a même valu une lettre de remerciement du syndic, Daniel Rossellat. Puis, Antoine Jaquier s'est formé au métier de dessinateur en horlogerie. De la vallée de Joux, où ils vivent avec sa soeur et sa mère, il part ensuite à Lausanne. Il devient animateur socioculturel, en 1993.
Aujourd'hui, il n'y a pas seulement le prix Edouard Rod qui sonne comme un retour aux sources pour Antoine Jaquier. Prochainement, il viendra rencontrer quelques élèves du gymnase de Nyon pour une discussion autour d'"Ils sont tous morts". Car, en plus d'aborder une question de société, sa plume semble attirer de nombreux jeunes lecteurs. Comme un serpent, cet auteur a su se faufiler dans tous les coins.