La réalisatrice française Eva Tourrent plonge les spectateurs dans le quotidien d'un dameur de pistes.
Originaire des Pyrénées, Eva Tourrent ne s'était jamais intéressée au monde très masculin des dameurs. Ces gens qui, l'hiver venu, aux commandes de leurs machines imposantes, passent une bonne partie de la nuit à préparer les pistes prises d'assaut par les amateurs de sports de glisse. Sur l'insistance de son frère Guillaume, qui exerce le métier depuis près de dix ans, la réalisatrice a fini par s'immerger, le temps d'une nuit, dans cet univers si particulier.
Ses premières impressions ont été fortes. D'abord en raison de la solitude rencontrée dans ce métier, du rapport à la pente, au vide, puis de la vision parcellaire qu'offre la cabine de l'engin. Au premier abord, les images tournées lui paraissent ne présenter qu'un intérêt esthétique. Mais, plus tard, lorsque Guillaume traverse une période de questionnements sur le sens de son métier, elle leur trouve quelque chose de plus profond, de presque métaphysique. Naît alors l'idée du film.
Avec l'aide de son chef opérateur, Olivier Dury, le projet prend forme. Eva Tourrent suit d'autres pilotes, pour faire des essais, mais ne retrouve chez aucun le mélange de force et de fragilité, la concentration extrême, cette rigueur du regard si caractéristiques de son frère. Il se prête au jeu, mais à une condition: il fera simplement son travail et ne répétera aucun geste pour la caméra.
Le tournage a eu lieu cet hiver. Durant douze nuits, réalisatrice et chef opérateur se sont serrés aux côtés du pilote dans la cabine prévue pour deux personnes seulement.
"Quelqu'un de très taiseux"
Les nuits se répètent. " Par contre la tempête, la panne, ça n'arrive qu'une fois ", confie la réalisatrice. Des choix se sont imposés d'emblée, comme par exemple celui de se limiter à deux axes de prise de vue: le profil du pilote et la vision à travers le pare-brise. " Le but n'était pas de faire des images impressionnantes, j'ai voulu prendre le contre-pied de toute cette imagerie de l'exploit sportif ", explique-t-elle. Le parti pris de ne pas verbaliser la solitude ou la peur du vide est arrivé au fil du montage: " Nous avons essayé d'être honnêtes. C'était compliqué dans ce rapport à la parole, mon frère étant quelqu'un de très taiseux. "
Eva Tourrent a été journaliste de télévision et de radio avant d'entreprendre une formation dans le cinéma. Titulaire d'un Master réalisation documentaire de création de Lussas, en Ardèche, elle est auteure-réalisatrice de ses propres films et travaille comme assistante-réalisatrice sur des tournages de fiction. Elle vit aujourd'hui à Marseille. JULIA SøRENSEN