Deux films, deux histoires personnelles en Syrie et en Tunisie.
Un festival tel que Visions du réel donne à voir un certain panorama de la situation mondiale. A l'occasion du focus sur la Tunisie sera projeté le film de la réalisatrice Erige Sehiri, intitulé "Le Facebook de mon père". On pourra voir aussi "Dieu et les chiens", court métrage d'un collectif de jeunes réalisateurs syriens. Ces deux films ont pour point commun d'évoquer une révolution sous l'angle de la subjectivité.
Sans avoir l'ambition d'effectuer l'état des lieux de deux histoires si différentes, ces films ont une même force: la parole donnée à ces réalisateurs permet de nous faire prendre conscience de la complexité de ces situations. Tous deux amènent à réfléchir sur l'impact de ces périodes instables sur les gens qui y sont liés, de près ou de loin. On adopte tant le regard de ceux qui y participent de l'intérieur, et malgré eux, que celui de ceux qui doivent se contenter d'images.
Fin 2010, la diaspora tunisienne est, d'un coup, inondée d'informations en temps réel sur les révoltes qui se déroulent dans son pays. "De 7 à 77 ans, on a tous été engloutis par Facebook" , constate Erige Sehiri, dont le père n'a pas échappé à la règle. C'est après avoir vécu la révolution depuis la France, à travers Internet, que ce dernier disparaît sans donner de date de retour, poussé par une volonté d'agir et de reprendre son village natal en main.
Retour en Tunisie
Ainsi, la caméra de sa fille part à sa rencontre et nous le fait découvrir dans son petit village de Kesra, situé dans une des régions ou ont eu lieu les premières révoltes populaires. Là, ce père confectionne des banderoles pour les martyrs de la révolution, retrouve des souvenirs, enfouis dans le village de sa jeunesse, aide à l'entretien d'une route et continue à militer via Facebook. "Mon père n'était pas un cyber-activiste, mais il avait une vraie addiction à Facebook: il considérait cela comme un outil de travail" , explique la réalisatrice. C'est pourquoi on entend ce même père déplorer l'utilisation, aujourd'hui banale, de ce qu'il considérait lui comme un outil d'engagement.
"Même si quelque chose s'est déclenché dans ce pays, il reste encore du travail pour les cavaliers de la révolution. Si les jeunes continuent à ne pas trouver de travail, ça n'avancera pas" , avance Erige Sehiri. Cette dernière suit encore aujourd'hui son père, en passe de devenir maire de ce petit village tunisien.
"Le Facebook de mon père" nous présente ainsi une Tunisie post-révolution, qui s'est transformée dans un laps de temps très court. "Il faut à la fois avancer mais aussi étudier ce qui s'est passé , évoque Erige Sehiri. Il y a eu des meurtres de jeunes hommes durant la révolution, et on ne connaît pas encore les responsables."
"Si je ne le fais pas moi, qui le fera?" Cette question est prononcée par le père de la réalisatrice franco-tunisienne, lorsqu'il découvre les possibilités d'action liées à l'arrivée du réseau 3G dans son pays. Cette question exprime une volonté d'engagement, et s'applique aussi à la jeune réalisatrice et journaliste, pour qui documenter son histoire est un moyen de participer à la révolution.
Témoignage syrien
Le protagoniste de "Dieu et les Chiens" s'est lui aussi demandé "Si je ne le fais pas moi, qui le fera?" , mais dans une situation violente et sans espoir. Ce film d'une violence latente, contrairement à la tendresse qui se dégage du précédent, est l'oeuvre du collectif de cinéastes anonymes Abounaddara. Chaque vendredi, cette maison de production sort une vidéo qui se disperse sur le net. A chaque fois, sans expliciter si les faits sont réels ou fictionnels.
"Dieu et les Chiens" raconte le témoignage d'un homme dont on ne connaît pas très bien le rôle dans la révolution syrienne. Il a un grain de folie dans le regard et semble être la personnification du brouillage généralisé qui hante la Syrie. Le personnage raconte qu'après avoir dû interroger un homme innocent devant un groupe de dix personnes, il s'est retrouvé à devoir l'achever pour lui éviter une plus longue torture.
Loin de l'idée de comparer ces deux révolutions - l'une est longue et complexe, tandis que l'autre tente encore de démêler la confusion issue d'un brusque changement -, ces deux films, projetés durant le même festival, illustrent l'importance du regard subjectif des cinéastes sur leurs propres situations. De tels points de vue permettent au spectateur de se rendre compte de la complexité et de l'intrication des rôles qu'on peut y jouer.
"Le Facebook de mon père"
Ce soir, 20h30, Usine à gaz
"Dieu et les chiens" , Je 1 er mai, 22h, Capitole 1. Ve 2 mai, 10h, Capitole 2.
www.visionsdureel.ch