L'heure du bilan a sonné pour le gruyère AOP de la Givrine.
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Le gruyère d'alpage est denrée rare. En 2013, sur les 29 000 tonnes de gruyère AOP (appelation d'origine protégée) produites en Suisse, seules 495 tonnes étaient fabriquées dans les alpages, dont 60% sur Vaud, entre la Givrine et la frontière neuchâteloise. Le gruyère d'alpage AOP répond évidemment à un cahier des charges précis et strict.
A la Givrine, la production a démarré la saison passée. Une fromagerie flambant neuve a été installée dans le chalet par la commune de Givrins, les aménagements intérieurs étant pris en charge par les exploitants, la famille Pradervand. " Notre but était de mettre en valeur le lait produit dans nos alpages, relèvent les cousins Hugo et Cédric Pradervand. Car aujourd'hui, nous ne touchons que 60 centimes par litre de lait. Difficile de vivre correctement avec le lait seul".
En réunissant la production des vaches Simmental du chalet de la Givrine et celle des Holstein des Copettes, les deux cousins sont arrivés à environ 2400 litres de lait par jour, de quoi envisager la production de gruyère d'alpage AOP et se payer le travail d'un fromager. " Notre fromager Laurent Monney fabrique environ huit meules par jour " se réjouissent les deux producteurs, soit 636 meules, qui représentent près de 20 tonnes de fromage fabriqué lors de la saison 2013.
Le résultat n'est connu qu'à l'automne
Mais le résultat de toute une saison de travail n'est pas connu de suite. Il faut attendre l'automne, pour qu'une première notation de la production soit effectuée. Elle est renouvelée en janvier.
Le gruyère est noté en catégorie A s'il obtient de 18 à 20 points, en catégorie B de 17 à 18 points, et n'a plus le droit d'appellation gruyère en dessous de 16,5 points. Mais le 95% de la production est en catégorie A, le 4% en B et le solde, soit environ 1% en fromage à râper. L'essentiel de la production de gruyère est destiné au marché suisse. Le solde, soit 12 207 tonnes en 2013 - année record - part à l'exportation. L'Allemagne est le plus gros pays importateur, suivi des Etats-Unis puis la France. Depuis peu, la Russie comme la Chine semblent s'y intéresser aussi. Le gruyère s'exporte dans 52 pays.
Parmi les critères qui déterminent la bonne fabrication, il y a bien sûr le doigté du fromager et l'aspect général. Mais les spécialistes notent aussi sa capacité de conservation, son goût, sa texture... C'est donc au terme de ces deux contrôles que le fromager saura s'il a bien travaillé durant toute sa saison à l'alpage. Et qu'il touchera un salaire en relation avec ces résultats. Mais comme le relèvent les cousins Pradervand, " c'est toute une chaîne qui se met en place. Car un bon fromager avec un mauvais lait ne peut rien. Et un bon lait avec un mauvais fromager non plus. Sans oublier le travail d'affinage, essentiel aussi à la bonne maturation du gruyère. C'est donc réellement un travail d'équipe qu'il convient de saluer ".
Le gruyère d'alpage est légèrement plus cher que le fromage produit en laiterie. Le travail est plus dur, la mécanisation peut présente, voire inexistante. Et les risques, notamment sanitaires et de production de lait, sont plus nombreux. Les conditions d'estivages des bêtes ont une influence directe sur leur production de lait. Comme elles ne se nourrissent que d'herbe, cela donne son caractère particulier au gruyère d'alpage. C'est un travail artisanal qu'il convient de respecter, d'autant que, généralement, les amodiataires ont encore un domaine en plaine dont ils doivent aussi s'occuper.
Un métier passion où les heures ne comptent pas
Comme tous ceux qui pratiquent des métiers passion, les heures ne comptent pas. Laurent Monney se réjouit déjà de sa prochaine montée à l'alpage, en mai. " C'est une vie que j'aime. Le travail est dur, mais on a la chance d'être dans un cadre magnifique, en contact avec les bêtes et la nature. C'était un peu un rêve. Travailler dans l'industrie est nettement moins plaisant, même si les horaires sont différents. A l'alpage, c'est quatre mois et demi de travail sept jours sur sept! Je suis content de redescendre en plaine à la fin de la saison, mais je suis très content de remonter la saison suivante... "
Domicilié à Givrins, le jeune homme de 26 ans côtoie Hugo Pradervand depuis son enfance. Après avoir effectué un apprentissage de fromager, il a poursuivi ses études jusqu'à l'obtention de son certificat d'agriculteur. Puis, il est allé rouler sa bosse au Canada durant huit mois, histoire de voir à quoi ressemblaient les domaines outre-Atlantique. Enfin, un diplôme d'inséminateur en poche, " pour avoir un travail durant l'hiver" , dit-il, il est revenu dans son village natal.
Les deux cousins n'ont pas eu une seconde d'hésitation lorsque leur projet de fromagerie s'est mis en place. C'était bien à leur voisin qu'ils allaient s'adresser! Et ils ne le regrettent pas.
" Avec 19 points sur 20, pour une première saison, c'est vraiment magnifique!" relève le maître-fromager et affineur, Raymond Liardon. C'est désormais à lui seul que revient la responsabilité d'affiner ce précieux produit. Quant à ceux qui désireraient goûter à cette production, ils peuvent l'acheter directement dans les fermes Pradervand à Givrins et Grens.